Juifs au pays du sourire



Yim Suai veut dire en thaï : « vous avez un magnifique sourire », expression qui sied à merveille aux juifs de Thaïlande. Qu'ils soient vacanciers israéliens, résidents permanents ou ''Joubous'' (juifs bouddhistes), beaucoup considèrent que l'ancien royaume de Siam, le seul à n'avoir pas été colonisé par les puissances étrangères, est le pays ami par excellence, alliant un fort attachement à ses traditions et une foi inconditionnelle dans l'avenir.


Sur le chemin de Bouddha


Depuis une vingtaine d'années, une sorte de coutume s'est installée parmi les jeunes israéliens fraîchement libérés du service militaire : équipés d'un simple guide de voyage et d'un sac à dos, ils partent se ressourcer en Asie dans ce qui ressemble à un rite initiatique. Que ce soit dans les sommets de l'Himalaya ou dans les stations balnéaires de la mer d'Andaman ou du golfe de Thaïlande, ils se libèrent la tête et se remplissent le cœur (c'est ce qu'ils disent eux-mêmes) en quête de sérénité et de bien-être.
Articles et dossiers de presse ne manquent pas à propos des expériences personnelles de ces jeunes juifs fascinés par la quête intérieure du bouddhisme (Religioscope, 23 octobre 2003). Le Jerusalem Post rapporte régulièrement leurs témoignages (« Buddhist nun here to teach meditation » 11 octobre 2006 ; « Jewish Journey », 31 août 2008).
Quoique très différents, les récits rappellent que judaïsme et bouddhisme font plutôt bon ménage.
Depuis les années 1960, les juifs bouddhistes américains proches du mouvement hippie, appelés ''Jubus'' (ou ''Joubous''), vivaient déjà la même expérience, à la recherche de paradis artificiels et du nirvana. Aujourd'hui, c'est le goût du voyage et de l'ailleurs qui priment. Avec, dans la nécessité de s'éloigner de chez soi, le besoin d'y revenir.
Dans son best-seller, Le Juif dans le Lotus (1994), Rodger Kamenetz raconte une entrevue interreligieuse entre le dalaï lama et une équipe constituée par des rabbins et des intellectuels juifs. Reconnaissant d'abord la similarité de destins entre les peuples juif et tibétain marqués par l'exil et les humiliations, on y évoque leur capacité commune de transcendance face à l'adversité ou tout sentiment négatif. Parentés et divergences entre les deux religions y sont âprement discutés. L'enseignement de la Kabbale par exemple porterait sur tous les thèmes spirituels ''implicites'' proches du bouddhisme « en proposant des voies de progression très similaires » (magazine Alliance). 
Aujourd’hui encore, on estime qu'environ un tiers des bouddhistes aux États-Unis sont juifs. En France, les juifs bouddhistes sont plus discrets et, selon toute vraisemblance, fort peu nombreux.
En Israël, le phénomène prend de l'ampleur, surtout auprès des jeunes. Les deux religions semblent à leurs yeux s’harmoniser à merveille. Mieux encore. Beaucoup reconnaissent que, volontiers sceptiques à l’égard de leurs propres croyances, ils sont revenus aux sources de la foi juive en passant par le ''chemin de Bouddha''. C'est que, non seulement la conversion au bouddhisme ne conduit pas, selon eux, à abandonner leur judaïsme mais, au contraire, elle le complète, voire le renforce.
On se souvient qu'en novembre 2016, le chanteur-poète Leonard Cohen, devenu moine bouddhiste, a été enterré selon ses vœux, dans le cimetière familial de rite juif traditionnel, Shaar Hashomayim à Montréal.
Pour Lionel Obadia (Université Lyon 2 Lumière), ce « processus d’interpénétration culturel et religieux », accompli par les Joubous, favorise le retour à une nouvelle forme de tradition juive « métissée et pérennisée » (Revue Ethnologie Française, avril 2013, vol.43).
La Thaïlande, pays ami
Quelques centaines de juifs vivent aujourd'hui en Thaïlande, principalement à Bangkok, Phuket, Chiang Mai et Koh Samui ; des milliers d'autres, dont 130 000 touristes israéliens, visitent chaque année ce pays, bouddhiste à plus de 90 %. 
Ce qui séduit les jeunes en sac à dos, ce ne sont pas seulement les belles plages de sable blanc, les hôtels de luxe à des prix abordables ou une vie agréable et facile mais surtout, disent-ils à l'unanimité, « les sourires communicatifs. ». Il n'est pas rare en effet de se faire accoster ici et là par un cordial shalom qui gratifie d'une bienveillance inattendue.
En Thaïlande, la liberté de culte est garantie par la loi. Le ministère des Affaires religieuses finance indistinctement les temples, les églises et les mosquées. L’État assure donc une grande harmonie confessionnelle pour peu qu’aucune pratique communautaire ne porte atteinte à la sécurité publique ni au respect réciproque en vigueur dans la société où une forte exigence morale, ancrée depuis l’enfance, s’impose à chacun. Les discriminations et les violences à motif religieux y sont rares, souvent circonscrites à quelques régions frontalières. Seuls les quelques millions de Thaïs musulmans (5 % environ de la population) manifestent une franche hostilité envers Israël et ses ressortissants.